Le sport a toujours été une passion.
Le virus m’est inoculé très tôt lors des exploits des héros de la France qui gagne au début des années 80 : Hinault, Fignon, Platini et Prost. Puis, le germe prend et s’exporte : Carl Lewis triomphe aux jeux de Los Angeles et voilà que je me prends à courir le 100m en moins de 10 secondes. La télé, limitée à 3 chaines, est le seul moyen d’assouvir cette passion. Chaque dimanche devant le générique de Stade 2, je rêve d’imiter Alain Giresse et de courir dans un stade en feu sévillan en hurlant les bras en croix, les yeux fermés, les poings serrés vers une potentielle finale de coupe du Monde.
L’autre « dose » est Téléfoot. Michel Denisot puis Didier Roustan sont les privilégiés qui ont l’infime honneur de nous proposer en exclusivité avec, chose impensable aujourd’hui, plus de 12 heures de décalage, les images inédites des buts et des résultats de première division. Cette division à laquelle je consacre tout mon argent de poche dans l’achat de stickers Panini. On peut ainsi avoir 8 ans, habiter dans la campagne brestoise et savoir où se trouvent Auxerre ou Louhans-Cuiseaux et connaître Emile Zimako ou le polonais Andrzej Szarmach. L’été, les côtes de ma contrée sont avalées à coups de pédale comme un blaireau, patronyme du héros breton aux 5 tours de France, que notamment la chute terrible de St Etienne en 1985 contribue à magnifier.
Evidemment, le 29 mai 1985, je ne comprends pas pourquoi la première mi-temps de la finale de coupe d’Europe des clubs champions que je suis autorisé à regarder ne débute pas. Evidemment également, je découvre en septembre 1988 qu’avec une bonne trousse à pharmacie, on peut courir beaucoup plus vite. Mais la passion est plus forte. Et ce n’est sûrement pas l’euro84 et les 9 buts de Platoche ou Guadalajara et son premier penalty manqué le 21 juin 1986, qui vont me guérir. Ce ne sont pas non plus les éternelles 8 secondes de juillet 1989 ou la saga Africa lyonnaise de décembre 1991 qui font chuter la fièvre.
Rester des heures dans le canapé à voir ces athlètes courir, sauter, lancer plus loin, plus vite et plus fort crée inévitablement des fourmillements, une bougeotte qu’il faut calmer. Je veux tenter de ressembler au champion, espérer toucher le graal que sont la coupe ou la médaille, me surpasser jusqu’à plus soif. « Training hard, win easy » disent les Kenyans. Se suivent donc des dizaines d’heures à taper dans le ballon rond au club des Gars de St Majan de Plouguin ou avec les copains, des centaines de kilomètres sont avalés sur mon vélo pendant mon adolescence puis pendant une vingtaine d’années, je tourne inlassablement autour de la piste du Stade Brestois athlé et dans les sous-bois pour développer VMA et seuil aérobie.
A la fin des années 90, quand internet balbutie, que les chaines de télé se multiplient et que « L’équipe » partage mon petit-déjeuner, il m’en faut plus. Pourquoi ne pas vivre l’événement au plus près ? Etre dans la place, devenir un de ces privilégiés qui remplissent les tribunes, étendre le doigt d’Adam de Michel-Ange vers ces dieux du stade. Voyager, vibrer, crier, applaudir, chanter, danser dans ces temples païens, côtoyer ces héros modernes, partager des émotions communes avec un Chinois, un Américain, un Kenyan ou un Finlandais.
Jusqu’au milieu des années 1990 et seulement à de rares occasions, le stade Francis Le Blé du Stade Brestois était la plus grande enceinte sportive jamais fréquentée. J’en garde pourtant des souvenirs impérissables. L’odeur des frites pas cuites accompagnées de « guez », la vente à la criée de fraises tagada ou de cacahuètes sont encore une extase. Tassé debout derrière le but dans une tribune loin de respecter la rigueur des normes actuelles, j’encourage à en perdre la voix les courses du Brésilien Julio César ou du Paraguayen Roberto Cabañas.
Si un match de championnat de France de Brest suscite un tel émoi, alors que doivent être des championnats du Monde ou même des Jeux Olympiques au stade? No wait and see….
Laurent ARZUR