Sergei Bubka !!! Une légende vivante !! Quel charisme !! Hormis son palmarès hors du commun (un titre olympique, 10 titres de champion planétaire, 35 records du Monde), c’est surtout l’aura de l’homme qui est impressionnante.
Grâce à Solen Desert et Virginie Michanol, athlètes du stade brestois athlétisme et membres du relais 4*400m de l’équipe de France, j’ai mes entrées à l’hôtel des délégations des championnats du Monde d’Osaka 2007. Et comme les deux endroits pour croiser des figures mondiales connues sont le hall d’entrée et le réfectoire, on peut croiser l’Ukrainien le plus connu sur Terre aisément. Impossible de le rater. Une bulle exceptionnelle d’émanation semble l’entourer, son regard perçant hypnotise les gens sur son passage. Vertigineux. Normal pour un homme monter si haut. Dans le passé, j’ai demandé une photo souvenir à des dizaines de sportifs. Aborder un athlète poliment et à bon escient est donc devenu presque naturel. Sauf ici. Je me sens comme un gamin qui doit faire signer un 02/20 à ses parents. Je parviens à bafouiller un « may I have a picture, please ? » et quand il accepte, j’ai l’impression d’être à 6,15m de hauteur.

Plus tard, je le recroise avec la Russe Yelena Isinbayeva, multiple championne planétaire de perche, et le Cubain Alberto Juantojena, double champion olympique du 400m et 800m aux JO de Montréal en 1976. Ca mérite bien un autre cliché.

Si on se penche sur son parcours et que l’on passe outre son athlétisme « business » (faire monter le record du Monde centimètre par centimètre, ne jamais battre le record 2 fois dans le même concours) et son présent de politique au sein de l’IAAF ou de député au Parlement Ukrainien, de nombreux faits marquants détonnent dans une carrière longue de 20 ans.

Sergei Bubka fait ses gammes à l’école de l’URSS dirigée par Vitaliy Petrov ( qui entrainera également de Yelena Isinbayeva, l’Italien champion du Monde 2003 Giuseppe Gibilisco, les Brésiliens Fabiana Murer, championne du Monde 2011 et le champion olympique 2016 Thiago Braz da Silva). Il y développe sa musculature et sa vitesse. Il devient le prototype parfait du perchiste : pouvoir courir vite avec de grosses perches et transférer cette énergie horizontale dans la verticalité aidé par une capacité à se repérer dans l’espace, talent acquis lors de ses jeunes années de gymnaste.

Il n’a pas 20 ans quand il bénéficie de l’effacement de Aleksandr Parnov pour participer aux premiers championnats du Monde de l’histoire à Helsinki en 1983. Officiellement, ce dernier laisse sa place au jeune prodige. Si c’est vrai, c’est un geste admirable et rare mais je serais surpris que le Kremlin n’ait pas donné son avis.

En Finlande, les concours de qualification sont reportés 7 fois puis finalement annulés pour cause de pluies diluviennes. Ce sont donc 27 perchistes qui s’affrontent directement dans une finale longue de 7 heures. A la surprise générale, c’est le jeune Soviétique qui remporte son premier titre international avec un saut de 5,70m (hauteur dérisoire aujourd’hui mais à l’époque, le record du Monde détenu par Vladimir Polyakov n’est « que » de 5,81m).

La finale du premier titre mondial en 1983

Le 13 juillet 1985, il casse la barrière mythique des 6m lors du meeting de Paris au stade Jean-Bouin. Du 26 mai 1984 à Bratislava au 31 juillet 1994 à Sestrières, il bat 17 fois le record du Monde en plein air (la marque mondiale officielle actuelle de Renaud Lavillenie de 6,16m a été réalisée en salle et fait office de record du Monde depuis que les performances peuvent être établies dans une « installation couverte ou non couverte ». Officieusement, personne n’a cependant fait mieux que Bubka « dehors »). Seul Thierry Vigneron lui a chipé son trône pendant quelques minutes le 31 août 1984 à Rome avant que le Tsar ne le lui reprenne (5,91m contre 5,94m). Je reste toutefois persuadé que s’il n’avait pas eu cette progression de gestionnaire, il eût pu atteindre des cimes beaucoup plus élevées.

Quelques records du Monde du « Tsar »

En 1986, il remporte son seul titre européen à Stuttgart en franchissant 5,85m. Le contexte de ce titre est plus intime car le second est son frère ainé, Vasily Bubka, médaillé d’argent avec 5,75m (record personnel : 5,88m).

Empêché de défendre ses chances au JO de Los Angeles en 1984 pour cause de boycott, il triomphe logiquement à Seoul en 1988 avec un record olympique de 5,90m à la clé. Ce sera son seul titre. En 1992 à Barcelone, bien que possédant la meilleure performance mondiale annuelle, il ne passe aucune barre en finale. A Atlanta en 1996 et à Sydney en 2000, des blessures l’empêchent de bien figurer.

Bubka champion olympique

Après avoir porté les couleurs de l’URSS jusqu’en 1991 et de l’équipe unifiée des ex-Républiques Soviétiques aux JO en 1992, il remporte la première médaille d’or planétaire pour l’Ukraine en athlétisme à Stuttgart en 1993.

A Athènes en 1997, il arrive en outsider aux championnats du Monde. Il est le quintuple tenant et surtout seul titré planétaire de l’histoire. Et j’ai de la chance car je suis dans le stade Spyridon Louis, du nom de l’athlète grec, premier vainqueur du marathon olympique en 1896. Bubka parvient en finale avec « seulement » une meilleure marque annuelle de 5,70m à égalité avec des perchistes de second rang : le Norvégien Trond Barthel, le Suédois Martin Eriksson, le Britannique Nick Buckfield et l’Israëlien Danny Krasnov. Les favoris sont donc logiquement les champions olympiques de 1992 et 1996, le Russe Maksim Tarasov et le Français Jean Galfione; les outsiders l’Américain Dean Starkey et l’Allemand Tim Lobinger, qui tous rêvent d’être calife à la place du calife.

  • 5,70m. Bubka commence son concours et franchit la barre au deuxième essai puis fait l’impasse jusqu’à 5,91m. S’il échoue, il terminera 6ème mais quand on a un tel palmarès, seul l’or importe. Et à cette hauteur, ils ne sont déjà plus que 3. Galfione n’a pas passé une barre et Lobinger a manqué 5,86m. Il ne reste donc que Tarasov, momentanément en tête, et Starkey face à lui. Comme souvent lors d’une finale de perche, l’ordre de passage a son importance : l’Américain saute avant le Russe et l’Ukrainien.

  • 5,91m. Bubka réussit au deuxième essai, les 2 autres au troisième. Il devient leader du concours.

  • 5,96m. Première tentative. Starkey échoue. Tarasov passe et mène le championnat à nouveau. Le Tsar fait l’impasse et devra passer plus de 6m pour conserver son titre. Il doit réaliser un exploit car n’a pas réussi une marque aussi haute depuis plus d’un an. Il a également dû subir en fin d’année précédente une opération au tendon d’Achille, qui pour beaucoup semblait être son chant du cygne. Sera-ce le concours de trop ou verra-t-on l’orgueil du champion ?

  • 6,01m. L’Américain qui a conservé 2 essais pour cette hauteur rate son premier. Tarasov manque également. Vient le tour de Bubka. Je suis placé dans le virage précédent l’arrivée en face de sa course d’élan. Je n’ai jusqu’alors jamais senti une telle atmosphère pour du sport. Le stade est dans un silence de cathédrale, envoûté par le regard du Maître. Dans une puissante course d’élan, il empoigne sa perche comme un chevalier sa lance dans une joute équestre. Quelle incroyable détermination ! Rien ne peut lui arriver et la barre reste en place. Le public explose mais lui parait impassible, de marbre. Il reste encore des (maigres) munitions à ses adversaires. Sans surprise, Starkey ne peut battre son record personnel de plus de 9 cm et doit se contenter de la médaille de bronze.

  • 6,06m. Tarasov, dernier résistant, conserve 2 cartouches pour cette barre. Bubka ne tente pas et attend patiemment. Mais avec un record personnel à 6m, la lutte est inégale. Le Russe échoue et l’Ukrainien triomphe pour la sixième fois. J’assiste à mes premiers championnats internationaux et grâce à de telles émotions, mes pas m’amèneront dorénavant souvent vers de nombreuses enceintes sportives.

Le 6ème titre en Grèce

Palmarès
      • Champion olympique du saut à la perche (1988)
      • 6 fois champion du Monde du saut à la perche d’affilée (1983-87-91-93-95-97)
      • Quadruple champion du Monde en salle du saut à la perche (1985-87-91-95) (En 1985, ces championnats en salle s’appellent les jeux mondiaux en salle)
      • Champion d’Europe du saut à la perche (1986)
      • Champion d’Europe en salle du saut à la perche (1985)
      • Bat 17 fois le record du Monde à l’extérieur et 18 fois en salle pour les porter respectivement à 6,14m et 6,15m