Berlin 2018 jour 6

Finalement, le meilleur était pour aujourd’hui. Quelle soirée ! Peut-être pas celle attendue par l’équipe de France qui termine avec 10 breloques (3 ors, 4 argents et 3 bronzes) mais des records des championnats , des accidents de parcours et un concours de perche…extraordinaire. Mais reprenons chronologiquement. Pour commencer un mea culpa. Je m’étais étonné en juin de la sélection de Clémence Calvin au marathon sans en n’avoir jamais couru un seul. Certes, je ne remettais absolument pas en question sa participation et son indéniable talent puisque, vice-championne d’Europe du 10000m en 2014, elle était revenue, après la naissance de son fils en mars 2017, à son meilleur niveau en battant le record de France du 10km route à Langueux. J’étais juste surpris par les critères si audacieux de la fédé. Bien leur en a pris pour ce pari osé puisque Clémence réussit un coup de maître pour une première. Sans l’aide de personne, pas même celle de Hobbes, Calvin s’empare de l’argent dans le pays de Luther sans protestation possible. Notons tout de même, la faible densité du peloton et les écarts importants creusés très tôt. Elles n’étaient déjà plus que 8 après à peine 15kms de course.

Comme le circuit de 10kms à parcourir 4 fois est en forme de 8, on peut, à un croisement, voir passer les fondeurs 8 fois. J’ai donc pu largement donner de la voix pour mes compatriotes. Petit rappel de la force et l’intensité des encouragements suivant la performance. Cela va de « l’athlète joue la gagne » à « le coureur est à la ramasse » :

1. « Allez, allez, c’est super, il y a la breloque au bout » avec les décibels d’un airbus au départ.
2. « Allez, allez, c’est bien, tu peux revenir, ils sont juste devant » plus modéré
3. « Allez, allez, faut s’accrocher, c’est pas fini » en retenue, comme un chuchotement à l’oreille
4. « AL-LEZ (1 seule fois seulement), fais le pour l’équipe » presque agacé
5. « C’est pas grave, il y aura des jours meilleurs » désabusé.
6. Indifférence totale. « Ah bon ? Il y a une course ? Où ça ? »

Pour Calvin, je suis resté dans le premier registre. Qu’elle m’accorde sa clémence si j’ai endommagé son ouïe. Chez les messieurs, ce fut plus compliqué. Mes encouragements pour Abdellatif Meftah, par exemple, ont décliné de l’étape 1 à 3. Cela parut tout de même le satisfaire puis qu’au 39ème kilomètre, peut-être pour me remercier, il m’a offert sa casquette avec un « tiens ». Sympa. Je n’aurai donc pas fait mes vocalises pour rien. Devant, le grand favori, le Norvégien Sondre Nordstad Moen, surprenant nouveau recordman d’Europe en 2h05’48’’ en décembre dernier à Fukuoka, abandonne. Et c’est donc sur un coup de nerfs à 10kms de l’arrivée que la victoire duBelge Naert se dessine. Avant le dernier passage, rencontre cocasse et impromptue sur le parcours avec un ancien stadiste brestois exilé, Ivan Moreau, contributeur du site culture–athle.com, et sa fille Maelle.
Pause déjeuner dans le cadre futuriste de Potsdamer Platz et contrairement à hier, pas de contrepet. Ensuite, ballade touristique et culturelle vers la Porte de Brandebourg et visite du musée Willy Brandt. Pour rappel, cet homme politique allemand, né en 1913, mort en 1992 est la représentation de l’histoire berlinoise, allemande et européenne du XXème siècle. Il a lutté contre le fascisme, a participé à la reconstruction de la ville après la 2ème guerre mondiale, fut aux côtés de JFK lors de son discours « Ich bin ein Berliner », a demandé pardon à Varsovie pour les atrocités nazies en 1970, a reçu le Prix Nobel de la paix en 1971 et a pu assister à la chute du mur avant de mourir. Il n’a donc rien à voir avec l’électroménager.


Dernière soirée du championnat et retour des podiums au stade. La remise des médailles du saut en hauteur est un excellent préambule puisque l’hymne allemand retentit déjà pour chauffer la foule. Le Russe Ivanyuk, sous bannière neutre, ne s’est pas invité à la fête. « Vous boycottez mon pays, je boycotte votre cérémonie » semble être le message.
Au concours du marteau, Tavernier bat le record national qui lui assure l’argent, pas suffisamment pour empêcher la patronne Wlodarczyk, de remettre sa tournée. Je la recroise sereine à l’attente du métro.

Sur 4*100m, on assiste pour la première fois à un tacle par derrière entre 2 coéquipiers. Résultat : pas d’Allemands en finale. On n’avait pas vu un tel geste dans l’enceinte du stade depuis la retraite réfléchie de Zidane sur un coup de tête. Le speaker a beau crié « Was für eine Drame ! », le mal est fait. Chez les filles comme chez les hommes, ce sont les Britanniques qui survolent les débats avec des chronos de très haut niveau.

A propos de sprinter anglais, je croise dans les travées l’ancien champion d’Europe, du Monde et olympique du 100m, Linford Christie.

Au triple saut, on assiste à un mano a mano entre l’Azéri Copello et son maitre, le Portugais Evora. L’expérience paie et le Lusitanien remporte la mise.
Sur 1500m femmes, j’ai eu le nez creux en abordant Muir et Ennaoui pour une photo vendredi, puisqu’elles font 1 et 2. Mérité pour la Britannique tant elle a couru avec panache.
Le fil rouge de la soirée est le concours à la perche. Alioune Sene est éliminé très tôt et Axel Chapelle, malgré sa déception, termine avec classe. Après son échec à 5,75m, il s’en va serrer la main de tous les officiels. Rarement vu cela. 8ème, il va se faire chambrer à la maison.
Sur 5000m femmes, un final ubuesque. La Néerlandaise Sifan Hassan est la grande favorite et assume son statut. L’Israëlienne Salpeter parvient à la suivre au sprint et croit obtenir la victoire alors qu’il reste… un tour. On n’avait pas vu cela depuis Cosson face à El Guerrouj en salle à Liévin. L’espace d’un instant, la Hollandaise ne comprend pas, se retourne mais repars pour clore le dernier mille en 2’42’’48. Le train d’Hassan, c’est effet grande vitesse (hommage à Bruno Carette). Dans le dernier 400m, Salpeter ne peut que faire face à un mur de lamentations. Elle n’a plus de cannes et la Turque Can lui prend sa 3ème place et achève ce festival.

Le stade vibre ensuite pleinement pendant les 7,5 tours du 3000m steeple femmes, pour aider l’Allemande Krause, qui emporte la mise. Mais, l’enthousiasme n’est en rien semblable à la fin du concours de perche. Exceptionnel ! Peut-être le plus grand concours de tous les temps ! 4 hommes ont tenté 6m, 2 ont passé la barre mythique. Lisek aurait-il pu croire qu’il n’eût pas de médaille avec un nouveau record personnel à 5,90m ? Et le Russe Timur Morgunov, seulement 21 ans? Aurait-il pu penser être battu par plus jeune tout en franchissant 6m ? Je vous présente donc Armand Duplantis, le maître du planter de perche, le prodige suédois, annoncé depuis le début de la saison, révélé l’an passé et fidèle au rendez-vous. 5, 85m, 5,90m, 5,95m, 6m et 6,05 : tout au premier essai. La grande performance des championnats Incroyable ! Et quelle facilité ! A presque 32 ans, le passage de témoin est net entre Lavillenie, 3ème derrière les deux jeunots. Il s’en est d’ailleurs fallu de peu qu’il échoue à « seulement » 5,85m. L’or mondial plein air, le seul titre qui manque au Clermontois sera dur à aller quérir au Qatar l’an prochain face au Scandinave de presque 19 ans.

Etapes du dernier saut de Lavillenie à 5,85m

Par message, je reçois un dernier défi. Un selfie avec le héros du soir. Je parviens tant bien que mal à franchir la zone réservée en filoutant un peu (on appelle cela l’expérience), m’approche des box média et attend. Toutes les télés le sollicitent, la gloire lui tombe dessus, l’attachée de presse tente de fluidifier le rythme et, happé de toutes parts, il n’a le temps que pour un SEUL selfie. Pas la meilleure qualité mais challenge relevé.

C’est l’heure de la clôture. Je salue une dernière fois Marcin, mon ami polonais. Je retrouve à la sortie les familles Croguennoc et Moreau pour un verre d’anciens stadistes brestois.

Si on dresse le bilan de la semaine, je le touve très positif. Pas de record continental mais de la lutte entre athlètes. Des sportifs allongés sur le tartan, à la recherche d’un second souffle, incapables d’un tour d’honneur et plutôt parfois même en quête d’un sac plastique. Et c’est un très bon signe. Cela signifie que la chasse contre l’armement pharmaceutique fonctionne et permet d’avoir des courses disputées, haletantes. On assiste moins à ces triomphes, trop facilement acquis et ces vainqueurs, coupant la ligne en flip flap arrière en dansant la macarena.
Quant à moi, c’est un nouveau championnat qui se termine et je me revois minot. Je m’autorise donc une note un peu personnelle. 
Dans les années 1984, 85 et 86, j’avais entre 9 et 12 ans (pas d’erreur de calcul : 9 début 84, 12 fin 86) et, comme je l’ai écrit dans la page de présentation de ce site, j’ai découvert un monde fascinant : le sport et ses héros. En foot avec Platini à l’euro, le paradis de Guadalajara et l’enfer du Heysel, en tennis avec LendlMcEnroe et NoahLeconte à Roland Garros et Boris « Boum Boum » Becker à Wimbledon, en cyclisme et les duels HinaultFignon puis HinaultLemond, en formule 1 et le titre perdu pour Prost pour 0,5 point à cause de la pluie à Monaco et enfin en athlétisme grâce au quadruplé de King Carl Lewis aux Jeux de LA, mes initiales, et les courses de mon papa.
S’est sans doute développé un syndrome de Peter Pan qui fait que chaque compétition sportive dans une enceinte provoque les mêmes effets: les yeux pétillent, le sourire est béat et une frénésie ardente m’envahit. Il n’est donc point besoin de s’étonner devant mon enthousiasme innocent lorsque j’aborde ou côtoie l’espace d’un instant ces Ulysse et Hercule des temps modernes. Le plaisir est onirique.
Avant le début de ces championnats et après la période boltienne, j’attendais de découvrir les prodiges norvégiens et suédois Karsten Warholm, Jakob Ingebrigtsen, et Armand Duplantis, futures stars de demain. Je n’ai pas été déçu. Certaines légendes s’en vont et d’autres se développent mais les émotions restent. Et si, par exemple, Jakob Ingebrigtsen a la même longue carrière que mon ami Benoit Nicolas, il courra encore 23 ans et j’en aurai donc 66. Puisse alors, et pourquoi pas, en compagnie de mon fils, si la contagion se propage, agir la magie encore et toujours.
Fin… en attendant la suite.