On m’a demandé si je n’en avais pas marre de regarder du tennis. Non. Comment se fait-ce ? Je vais tenter de l’expliquer. Aller dans une enceinte sportive pendant les vacances, c’est comme pour d’autres rester se dorer la pilule dans une cité balnéaire. Il fait beau. Le soleil brille, on peut entre 2 sets aller chercher une collation, on rencontre du monde. Comme dans un camping et son gérant (appelons-le Hermann), on sympathise avec le contrôleur de billets ou des membres de l’organisation. On a ses petites habitudes au café du coin. On fait des photos, on achète des souvenirs. Le soir, on mange au restaurant ou on va boire un verre au pub. C’est même mieux organisé car contrairement aux plages, personne ne vient vous prendre votre serviette ou se poser indélicatement près de vous. En effet, quoi qu’il arrive, je suis toujours porte 12, rang KK, siège 395. La seule différence est qu’au lieu de jouer au tennis sur le sable, ce sont d’autres qui le pratiquent. Plutôt bien d’ailleurs. Et le chemin pour approcher de la « mer » n’a rien à envier à un sentier de la côte d’Azur.
Cet après-midi est celui des femmes. Deux parties prometteuses sur le papier.
A 13h locales, la Belge Mertens rentre sur le court pour en découdre avec la Danoise Wozniacki. Le premier set est à sens unique. La Flamande commet trop de fautes directes, semble rattraper par l’événement d’une première demi-finale de grand chelem et ne bouge pas aussi bien qu’aux tours précédents. En face d’elle, son adversaire est agressive, déterminée, ne laisse rien passer et imprime son rythme. Wozniacki remporte la première manche 6-3. Dans le deuxième set, le jeu s’équilibre. Alors qu’on pense que la Belge a retrouvé la frite, elle se fait breaker contre le court du jeu. Il ne reste plus à la Scandinave qu’à conclure. Et là, catastrophe écologique, un iceberg danois fond sur le court. Elle sert pour conclure, mène 30-0 et… craquage. 2 doubles fautes, 1 montée au filet désespérée punie par un passing et 1 faute directe grossière. Mertens rattrape son retard. Wozniacki va-t-elle nous refaire le coup de sa demi-finale perdue contre la Chinoise Li Na en 2011 ? Elle s’était inclinée en 3 manches après avoir eu une balle de match au deuxième set.
A quoi pense-t-on dans ces moments ? Au gros chèque qui nous attend (2 millions de dollars australiens contre 880 000 à la demi-finaliste vaincue)? A la gloire si proche et sa photo en « une » des magasines ? La peur de gagner, la main qui tremble, le doute qui ronge, le jeu « petit bras », peu importe son nom, c’est sa maitrise qui fait la différence entre un très bon sportif et un champion. En athlétisme, Asafa Powell est le sprinteur qui a réalisé le plus de 100m en moins de 10 secondes, ayant même détenu le record du Monde de la distance. Pour quel palmarès individuel ? Deux petites médailles de bronze mondiales à Osaka en 2007 et Berlin en 2009, aucune olympique. Etre là quand ça compte pour rentrer dans l’histoire, atteindre le sommet quand on l’aperçoit, telles sont les difficultés que doivent appréhender les gagnants.
Le deuxième set se départage donc au jeu décisif. Wozniacki prend son temps pour servir, tente de se détendre entre chaque point. Elle doit montrer à son adversaire que c’est elle la patronne et que la Belge ne doit pas espérer une troisième manche. Le public, passablement sage jusqu’à présent le comprend bien et encourage les 2 joueuses à tout va. La sirène danoise, de nouveau dans sa bulle, retrouve sa hargne et survole le tie-break 7-2. Elle peut lever les bras au ciel et savourer l’instant. Elle la tient enfin sa finale australienne, sa 3ème en grand chelem (2 finales perdues à l’US open).
Entre les deux matchs, un hommage est rendu à Billie Jean King, ancienne numéro un mondiale, surtout connue pour son engagement en faveur de l’égalité des sexes et de la reconnaissance du sport féminin. Si les femmes perçoivent les mêmes gains que les hommes, c’est en grande partie grâce à elle.
La deuxième demi-finale débute de manière très étrange. L’Allemande Angélique Kerber est sur le court mais n’est pas là. Elle ne court pas et voit les balles de la Roumaine Simona Halep fuser à droite et à gauche. 5-0 en 13 minutes, triple break. Puis c’est la numéro un mondiale qui s’arrête de jouer et se fait débreaker deux fois. 5-3. Halep se ressaisit, remporte à nouveau la mise en jeu de son adversaire et gagne le premier set 6-3 en 24 minutes. Sur 9 jeux, les serveuses n’ont conservé leur bien que 3 fois.
Dans la 2ème manche, les deux joueuses décident de jouer ensemble. C’est souvent mieux pour pratiquer un bon tennis et pour le spectacle. Kerber retrouve le niveau qui fait d’elle une tenniswoman invaincue en 2018. Les deux joueuses ont gommé leurs fautes directes et le jeu est très plaisant. Un break suffit à l’Allemande pour prendre le set 6-4.
La manche décisive bascule dans une autre dimension. C’est tendu, le suspense est entier. Chaque joueuse regarde son camp en espérant de l’aide, crie probablement des insanités pour digérer la frustration et le public est au diapason. Etrangement, le stade est loin d’afficher complet. J’en profite donc pour descendre au plus près du court et apprécier l’instant. La Roumaine mène 5-3 30/15. A 2 points du match. L’Allemande joue 3 coups magnifiques et revient à 5-4. L’assemblée, étrangement très pro-germanique, hurle. Peut-être que la victoire de Kerber ici il y a 2 ans contre Serena Williams lui a procuré une grande popularité ? C’est en tout cas à son tour de mener 6-5 30/15. Et à l’inverse, Halep s’en sort et revient à 6-6. La numéro 1 mondiale est déjà passée près de la sortie au 3ème tour contre Davis. Après avoir sauvé des balles de match, elle avait remporté le 3ème set 15-13. Ici, elle a un léger avantage : si elle perd son service, elle aura celui de son adversaire pour se « refaire ». Elle mène maintenant 8-7 et serre le jeu. Kerber est sous pression et ses services reviennent vitesse grand V. 9-7 après 2h20. Jeu set et match Halep. Comme Wozniacki, la Roumaine disputera samedi sa première finale à Melbourne et sa 3ème en grand chelem après 2 défaites à Roland Garros.
Les deux finalistes joueront aussi la première place mondiale, place qu’elles ont occupée toutes les deux sans victoire dans un des 4 tournois majeurs.
La session du soir démarre par une nouvelle cérémonie pour célébrer un quelconque anniversaire. Je reconnais parmi les gloires présentes, Martina Navratilova, Helena Sukova, à nouveau Billie Jean King, Rod Laver, Ken Rosewall, Mark Woodforde et le moustachu John Newcombe.
Débute ensuite la première demi-finale du tableau masculin entre le Croate Marin Cilic et le Britannique Kyle Edmund. Le stade s’est rempli. Contrairement à cet après-midi, toutes les places sont occupées. Tout le monde l’attend, le spectacle peut commencer. Mais le show ne démarre jamais. Quelle déception ! J’ai eu la chance d’assister à 5 demi-finales de grand chelem dont celles de toute beauté entre Federer et Djokovic à l’US open 2010 et entre Wawrinka et Murray l’année dernière à Roland Garros. Cette sixième est un non-match. L’Anglais ne parvient pas à jouer son tennis sublime qu’il lui avait permis de battre Dimitrov au tour précédent et Cilic fait tout pour faire déjouer son adversaire.
Un serveur a le droit à 25 secondes pour servir. Il dépasse allègrement le temps imparti et l’arbitre ne dit rien. Pour la deuxième balle, il n’a qu’à prendre la balle dans sa poche et lancer le jeu mais même cela, ça dure une éternité. D’ailleurs pour accélérer le jeu, ne pourrait-on pas jouer même quand le service est let ? Le Croate réussit l’exploit d’endormir Kyle Edmund et… les 15000 personnes présentes. Un vrai hypnotiseur. On est dans le bouquin de Kipling. L’Anglais c’est Mowgli dans « Le livre de la jungle » et Cilic le serpent Kaa.
On assiste alors à une chose très étonnante dans le 3ème set : certaines personnes sifflent quand d’autres quittent le stade. Je reste tout de même jusqu’au bout et voit la victoire du joueur des Balkans 6-2 7-6 6-2. Peu importe qui il affrontera en finale (plutôt un Suisse tout de même) mais son adversaire devra l’emporter pour sauver l’honneur du tennis. Lors de l’interview d’après match, même Jim Courier n’arrive pas à faire dérider la foule…
Cilic me fait d’ailleurs penser au champion du Monde de 100m Justin Gatlin. Ce dernier a été suspendu 2 fois et s’est mis à courir plus vite à son retour que lorsqu’il se dopait. Le tennisman croate s’est également fait prendre par la patrouille alors qu’il n’était qu’un joueur correct. Il revient lavé de sa faute et va disputer sa 3ème finale de grand chelem (victoire à l’US open 2014 et finale à Wimbledon l’année dernière) depuis la fin de sa punition. Question complètement naïve : à quoi ça sert de prendre des substances interdites si tu joues mieux ou cours plus vite soi-disant sans ? A ce propos très chère Alizé, on a joué sa Lolita ? On a peur des piqûres ? On n’a pas voulu donner son sang aux « méchants » préleveurs ?
En quittant le stade, je croise Boris Becker, ancien numéro 1 mondial, consultant de luxe chez Eurosport. Qu’a-t-il bien pu penser d’un tel match? Demain fête nationale australienne. A suivre.
- Halep-Wozniacki
- Chung-Federer
- Cilic-?