Deuxième journée australienne et mon horloge interne se cale un peu. J’ai gagné deux heures de sommeil. Ici c’est samedi, c’est l’été, la ville est remplie de touristes, 3 bonnes raisons pour être tranquille et ne pas se presser. La météo est capricieuse, un Australien m’explique qu’à Melbourne, on peut avoir 4 saisons en une journée. Comme j’apprécie Vivaldi, je lui dis que ça ne me déplait pas et qu’à Brest, on a 2 saisons, le 14 juillet et le reste de l’année. Je traine dans le quartier des affaires de Melbourne, une sorte de City londonienne ou de Wall Street local mais, week-end oblige, je n’y rencontre pas plus de monde que dans le désert de Gobi. Je pars donc vers les rues commerçantes. Très agréable. On y trouve de nombreux magasins d’articles de sport, expliquant sans doute la silhouette très alerte des Australiens. Le taux d’obésité doit être ici relativement faible.
On sent aussi au pas des gens qu’ils sont tout autant là pour se balader que pour effectuer des achats. Ils prennent le temps de s’arrêter profiter des quelques spectacles de rue en s’asseyant sur les marches aux abords ou de prendre un café sur les nombreuses terrasses. Certains halls de bâtiments me font penser au décor de la scène des escaliers de la gare du film « Les incorruptibles » ou au magasin où se posent Robert de Niro et James Wood dans le film « Il était une fois en Amérique »
Je suis également surpris par le contact facile des commerçants. Pour dire bonjour dans un café, un serveur me sert du « hey man ». Je n’imagine pas un garçon dans un troquet parisien prendre une commande par un « salut mec. »
Je continue à me promener jusqu’à 17h, heure à laquelle j’avais décidé ce matin d’aller courir. La météo en décide autrement car un orage éclate et promet de durer. Je me retrouve à l’abri dans un pub, où l’ambiance est malheureusement très sympa. Je sens que je vais laisser tomber le footing. Un verre à la main, je m’assois tranquillement à une table.
A peine 10 minutes plus tard, un type s’amène pour me demander d’où je viens. C’est vrai qu’avec mon sac à dos, je dénote un peu. C’est comme si je portais une pancarte « touriste. » Il m’invite à rejoindre son groupe de potes; ils sont en train de fêter les 35 ans d’un des leurs. Très vite, ils me demandent si je veux une pinte ou un shooter. Je leur réponds que je vais y aller tranquille mais en fait, ce n’était pas une question. Alerte guet-apens en vue. J’ai alors deux verrous pour éviter la bascule. La perte de la fluidité de mon anglais et il faut absolument que je puisse rentrer à l’hôtel à pied car je ne connais pas et n’ai pas noté l’adresse. Les limites bien définies, l’après-midi-soirée est très bon enfant. Sans savoir l’objet principal de ma venue à Melbourne, la plupart engagent la conversation en parlant sport. J’aurais pu tomber plus mal. Sauf que le sujet principal est le… cricket. Or, à part que je sais que c’est un insecte herbivore, je n’y connais rien.
Pour tester ma culture, un d’eux me demande quelles sont pour moi les légendes sportives Australiennes les plus connues. Je lui sors du « David Campese », joueur emblématique de l’équipe de rugby des Wallabies, championne du Monde en 1991 ou Rod Laver, seul tennisman à avoir gagné les 4 tournois du grand chelem la même saison dans l’ère open. Il me dit ok mais non, c’est Don Bradman. Pour me faire saisir qui est ce gazier, il me dit que c’est le meilleur joueur de cricket de l’histoire, qu’il a réussi une moyenne à la batte de 99,94% et que le deuxième n’a atteint que 61% pour situer l’écart. Et le mec a excellé il y a plus de 70 ans !! Pour prendre à témoin, il va voir plusieurs personnes dans le pub, jeunes, moins jeunes, hommes, femmes, pour leur poser la question. « Qui est le meilleur sportif australien de l’histoire ? », « quelle fut sa moyenne ? ». Tout le monde a la réponse !!! Pour comprendre l’importance du type, c’est comme si on parlait de Molière, Cervantès, Da Vinci, Goethe ou Shakespeare. Et c’est un sportif.
Ensuite, je discute avec un autre gars, fan de Mary Pierce (sans doute LE fan de Mary Pierce), joueuse de tennis franco-américaine (française quand elle gagnait, américaine sinon), ancienne numéro 3 mondiale, vainqueur de l’open d’Australie en 1995 et de Roland Garros en 2000, qui me dit qu’il connaît quelques mots en français, car étudié à l’école. Pour le prouver, il me demande « comment ça va ? » et compte « un dos tres cuatro » Il devait être au fond de la classe près du radiateur.
Plus grave, la conversation avec un autre Australien est politique. Quand je lui dis que je suis surpris d’être intégré aussi facilement dans un groupe, il me répond que c’est parce que je parle anglais et que je suis… blanc. Pour la langue, j’y suis peut-être pour quelque chose, pour la couleur… En fait, le gars est très ouvert d’esprit. C’est au contraire le reproche d’être trop fermé qu’il fait à ses compatriotes, même s’il m’explique qu’un mouvement progressiste se développe. Il est maintenant 22h, la pluie a cessé, mon ventre crie famine, eux ont oublié de manger, certains sont passés du côté obscur de la force et je commence à bafouiller mon anglais. Il vaut mieux aller manger un morceau et rentrer sagement. Demain, je me lève tôt. A suivre…